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Le programme belge F-35 expliqué : interview avec le colonel aviateur Roeland Van Thienen, F-35 Capability Director

4 septembre 2025

  • L’acquisition des avions de combat F-35 par la Belgique est l’un des investissements de la Défense les plus commentés de la dernière décennie. Si le coût reste une source de débats (et de malentendus), quelle est précisément la plus-value du F-35 pour la Défense et pour la Belgique ? Le colonel aviateur Roeland Van Thienen, directeur du programme F-35 de la Force aérienne, a répondu à nos questions.

     

    Pourquoi le F-35 est-il un investissement essentiel pour la Défense belge ?

    Le F-35 est crucial pour le contrôle de la troisième dimension – l’espace aérien – qui conditionne toutes les autres opérations militaires. En temps de paix, ces avions assurent une surveillance permanente de notre ciel. À côté de cela, ils jouent un rôle clé pour neutraliser des cibles loin derrière les lignes ennemies, et pour soutenir les forces terrestres et navales. La guerre en Ukraine montre les conséquences de l’absence de supériorité aérienne : attaques incessantes, coûts énormes et nombreuses victimes. Un appareil de cinquième génération comme le F-35 est précisément conçu pour garantir cette supériorité.

    L’importance du F-35 explique aussi pourquoi des pays comme la Russie et la Chine développent leur propre équivalent. Cela explique la mise en place de strictes mesures de sécurité : toutes les capacités ne sont pas rendues publiques afin de préserver l’avantage stratégique.

     

    Comment faut-il comprendre le coût global ?

    Pour avoir une vision complète et réaliste, il faut aller au-delà du simple prix d’achat. L’investissement comprend notamment la formation des pilotes, les infrastructures adaptées, les mises à jour, le personnel nécessaire, le carburant et la maintenance des appareils. Le concept de Total Cost of Ownership, qui reflète la dépense totale sur l’ensemble du cycle de vie du programme (quarante ans), offre une vision plus transparente de la valeur réelle et de l’efficacité de cette capacité.

     

    Il s’agit donc d’un investissement considérable ?

    Bien sûr, mais il est important de replacer les montants dans leur juste contexte. Beaucoup de chiffres circulent dans les médias, mais il faut comparer ce qui est comparable. Il faut toujours se demander : que recouvre ce montant ? Tous les coûts sont-ils inclus, comme la formation et l’entretien ? La seule manière correcte de comparer est d’évaluer le Total Cost of Ownership. La Belgique et douze autres pays européens ont procédé à cette analyse, et à chaque fois, le F-35 s’est révélé l’option la plus économique, la plus efficace et la meilleure en termes de capacités. L’investissement est important, mais relativement avantageux au regard de ce qu’il apporte.

     

    On parle souvent du coût par heure de vol. Est-ce une mesure pertinente ?

    Pas entièrement. Quand par exemple un avion est de permanence durant tout un week-end sans décoller, dans le cadre de la Quick Reaction Alert, les coûts de personnel et d’infrastructure continuent de courir. Les calculs montrent que le F-35, malgré sa technologie avancée, revient moins cher que des avions plus anciens tels que le Rafale, l’Eurofighter Typhoon, le Gripen ou le F/A-18.

     

    Les coûts peuvent-ils encore grimper à l’avenir ?

    Le programme intègre déjà des fluctuations de prix : inflation, hausse du coût des matières premières, du transport et du personnel, ainsi que les variations de change. Des marges sont prévues pour absorber ces évolutions. Les hausses récentes liées au COVID, à la guerre en Ukraine et à l’inflation mondiale ont un impact, mais ce phénomène touche tous les systèmes d’armes, pas uniquement le F-35.

     

    Quels sont les avantages de rejoindre un programme international ?

    Au total, plus de trois mille F-35 seront construits dans le monde. Cette production de masse réduit le prix unitaire et rend également l’entretien, les pièces de rechange et les mises à jour plus abordables.

    La Belgique n’investit donc pas seulement de manière efficace, elle opte aussi pour un appareil largement soutenu en Europe. Alors que l’on déplore souvent la prolifération de systèmes d’armes différents sur le continent, le F-35 fait figure d’exception.

     

    Quelle est le retour économique pour le pays ?

    L’acquisition génère aussi un retour pour l’industrie belge. Le SPF Économie suit de près ce rendement socio-économique, qui correspond jusqu’ici aux prévisions initiales.

    Pour chaque F-35 produit – plus de 1.100 à ce jour – les entreprises du groupe belge Syensqo (anciennement Solvay) génèrent environ deux pour cent de la valeur. Par ailleurs, BeLightning fabrique actuellement quelque 400 empennages horizontaux. Si la production se poursuit sur ce rythme, le retour économique dépassera à terme la valeur du marché initial.

    Grâce au mécanisme des « intérêts essentiels de sécurité », l’industrie de défense belge a en outre obtenu un accès privilégié aux technologies de précision de cinquième génération, renforçant ainsi sa position future.

     

    Pour conclure, pourquoi le F-35 est-il selon vous le choix logique pour la Belgique ?

    Du point de vue des coûts à long terme, des économies d’échelle, des retombées technologiques et de la plus-value stratégique, il n’existe aujourd’hui aucune alternative offrant une telle capacité de combat aérien à ce prix. Le F-35 est donc le choix le plus judicieux, non seulement sur le plan militaire, mais aussi budgétaire et économique.

Van Thienen

Qui est le colonel aviateur Van Thienen ?

Entamant ses études à l’École Royale Militaire en 1998, Roeland Van Thienen est formé comme pilote de F-16. Il participe ensuite à des missions internationales en Afghanistan, en Libye, en Irak, en Syrie et dans les États baltes. Il devient pilote d’essai et contribue au programme de remplacement du F-16. Depuis l’été 2024, le colonel aviateur Van Thienen est F-35 Capability Director au sein de la Défense.

Auteur Stefanie Verhavert Photos Belgian Air Force